La nostalgie des années 80’ 90’ : nouvel eldorado des marques

De la série Stranger Things à la réédition de la Super Nintendo en passant par la prochaine collaboration entre Adidas et Dragon Ball Z, la nostalgie des années 80’ & 90’ est actuellement une source intarissable d’inspiration pour les marques. Moyen privilégié de communiquer auprès de la génération « Y » ou simple évolution du « rétro-marketing » traditionnel ? Décryptage de la « nostalcomm-mania » !

À moins de vivre en ermite dans une grotte depuis plus de deux ans, il est impossible d’avoir fait l’impasse sur Stranger Things. Truffée de références aux années 80, cette série est devenue en l’espace de deux saisons un phénomène mondial. Au delà de sa qualité narrative et esthétique, son succès s’explique par son habile théâtralisation de la nostalgie. Un maelström géant de culture populaire « eighties » où s’entremêlent salles d’arcades, néons colorés, Walkman, références cinés (« Les Goonies », « Ghostbuster », « E.T », « Alien »…) et coiffures à la Cindy Lauper.

Stranger Things saison 2 salle arcade

Grâce à un souci du détail impressionnant et une B.O nourrie aux synthétiseurs, la série ne joue pas sur la nostalgie, elle la crée de toute pièce, puis l’installe dans les esprits. Et pas uniquement en s’adressant à une poignée « d’happy few » trentenaires ayant le spleen des années Reagan. Car comme le définissent très bien les sociologues français Ronan Divard et Philippe Robert-Demontrond, la nostalgie est « une réaction affective douce-amère, éventuellement associée à une activité cognitive, et qui est éprouvée par un individu lorsqu’un stimulus externe ou interne a pour effet de le transposer dans une période ou un événement issus d’un passé idéalisé, s’inscrivant ou non dans son propre vécu ». De façon subjective, nous nommerons ce tour de force affectif de la série Stranger Things : la « nostalcomm ».

 

Rétro-marketing, à l’Ouest rien de nouveau

 

S’adresser aux individus en sortant du four à température tiède ses « madeleines de Proust » favorites n’est pas une nouveauté. À la fin du siècle dernier, la nostalgie franchit les frontières du marketing grâce au sociologue Morris Holbrook qui théorise le concept de « consommation régressive ». Les marques brandissent le passé pour rassurer et sensibiliser le consommateur sur son présent, voire son futur.

 

D’ailleurs, la journaliste Laurence Girard analysait déjà ce phénomène qu’elle nomme « rétro-marketing » dans un excellent article paru…en 2005. Au fil de cet article, disponible sur le site du Monde, et en prenant de la hauteur sur ce phénomène de « retro-marketing », quelque chose interpelle ! Les exemples les plus flagrants sont des biens de grande consommation : l’eau Quezac, la poudre de cacao Banania, les crèmes dessert Mont Blanc ou encore le savon Petit Marseillais. Comme si le « rétro-marketing » à l’ancienne n’avait qu’un seul but : remplir le caddie de supermarché de la ménagère de mois de 40 ans. Le cas Stranger Things, et ses nombreux petits frères, prouvent que la « nostalcomm » de ces dernières années est plus complexe dans son intention.

 

La génération Y,

cible privilégiée de la « nostalcomm »

 

Tout ou presque a déjà était dit, écrit, pensé et prophétisé au sujet de la génération Y. Pour rappel, ce mot-valise désigne la génération née entre, allons-y à la louche, les années 80 et le milieu des années 90. Une génération qui a connu les débuts d’Internet, la récession économique, le rééquilibre vie privée – vie publique, la sécularisation, un marché du travail atomisé ET la série Beverly Hills. Des individus qui ont actuellement entre 20 et 40 ans, soit la cible rêvée de la plupart des marques actuelles.

Série Beverly Hills

Sans vouloir entrer dans des confrontations stériles entre « simple concept marketing » d’un côté et « manque de légitimé sociologique » de l’autre, partons du principe que cette génération Y existe tout en lui admettant une part non négligeable d’hétérogénéité. Dans son ouvrage « La mémoire collective » (1950) , le sociologue français Maurice Halbwachs affirme à raison que « chaque génération est dotée d’une mémoire collective qui s’articule selon des stimulus différents ». Pour raccourcir, et faire vite car vous n’avez pas le temps, le « rétro-marketing » pour nos parents, la « nostalcomm » pour nous, la génération Y.

 

La « nostalcomm » en trois exemples concrets

 

Dans la revue Management & Avenir (2011) Aurélie Kessous explique dans son article « Impact de la nostalgie sur les relations des consommateurs aux marques » que le triangle amoureux génération Y, nostalgie et marque se définit par trois variables d’expressions différentes. Le phénomène de collection, les anecdotes racontées et la croyance en la supériorité de la marque. En prenant l’exemple de trois secteurs spécifiques (la mode, le jeu-vidéo et le divertissement sur écran), nous allons illustrer la manière dont s’articule cette « nostalcomm ».

 

Le phénomène de collection nostalgique

appliqué à la mode

 

La collection nostalgique se définit comme la réunion et la conservation d’objets qui ont une valeur subjective. On retrouve donc à l’âge adulte une enfance idéalisée et l’état psychologique et mental dans lequel on se trouvait lors de la découverte du tout premier élément de cette collection. Secteur on ne peut plus cyclique, la mode est le terrain de jeu idéal pour la « nostalcomm » comme le prouve le retour en force depuis 2015 des marques « sportswear » des années 90. Ellesse, Fila, Champion USA, Sergio Tacchini, K-Way…

Une longue litanie de marques stars dans les cours de collèges de la génération Y qui sont peu à peu tombées en désuétude au début des années 2000. Ces résurrections, et leurs succès, prouvent que la génération Y a une propension à collectionner une marque perçue comme nostalgique. Mais pas besoin d’avoir disparu des radars pendant des années pour surfer sur la vague haute de la « nostalcomm ». En annonçant début 2018 une collection capsule de sneakers Dragon Ball Z, Adidas ressuscite les personnages d’un manga phare de toute une génération.

Au programme : une adidas ZX 500 RM dédiée à Goku, une Yung-1 Freezer, une Deerupt Son Gohan, une Prophere façon Cell, une Ultra Tech spéciale Vegeta, une Kamanda pour Majin Buu et une adidas EQT Mid ADV aux couleurs du dragon Shenron. Fin 2017, la marque Suprême avait déjà emboité le pas en annonçant une collection dédiée à une autre figure de l’animation japonaise, Akira. Des chemins de traverses ingénieux pour toucher la génération Y sans pour autant apparaître comme une marque sur le retour. Habile !

Adidas Freezer Cell

 

La croyance en la supériorité d’une marque :

le rétro-gaming 

 

Sortie le 29 septembre dernier, la Super Nintendo mini a rapidement été en rupture de stock un peu partout dans le monde. Cette réédition de la console à succès des années 90 n’a pourtant sur le papier rien d’exceptionnel d’un point de vue technologique. Une machine dotée de 21 jeux cultes affichant les mêmes graphismes pixélisés que 30 ans auparavant. Pourtant la SNES mini s’est vendue à plus de 4 millions d’unités. Dans un marché du jeu-vidéo dominé par des consoles ultra-performantes techniquement (PS4 et Xbox One), cette percée rétro-gaming est à peine étonnante. Un objet perçu comme nostalgique induit chez le consommateur une supériorité actée de la marque. Comme si une console Super Nintendo avec le jeu Street Fighter II était capable de procurer plus de plaisir de jeu que le dernier Call of Duty sur une console « next-gen ».

La société américaine Hyperkin qui vient d’annoncer pour courant 2018 la réédition de la Game Boy a bien saisi cette opportunité de « nostalcomm » dans le secteur du jeu-vidéo. Dernier exemple, juste avant la sortie de la saison 2 de Stranger Things, encore eux, Netflix a sorti un jeu façon « 2D » sur smartphone. Adapté de la série, ce jeu pour mobile surfe sur le « rétro-gaming » pour faire patienter les aficionados de la série.

 

La puissance d’anecdote d’une communauté :

le cinéma et les séries

 

Dernier terrain de jeu favori de la « nostalcomm », le divertissement sur écran. L’exemple de Stranger Things est un cas d’école mais n’est certainement pas isolé. L’exemple le plus flagrant de l’année écoulée est la sortie de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve. Cette suite du plus grand film de science-fiction des années 90 joue clairement sur la corde sensible de la « nostalcomm ».

Fin 2017, le service de vidéo en ligne Amazon Prime lançait la série Electric Dreams basée sur des œuvres de l’ineffable Philip K. Dick, auteur tourmenté et prolifique des années 80. Le divertissement sur écran emprunt de nostalgie stimule auprès des individus leur propension à raconter des anecdotes. Les communautés sur le web s’organisent et dissertent sur les différences, les similitudes et les clins d’œil entre les œuvres originelles et les nouvelles. La « nostalcomm » sur une série ou film a également ce pouvoir de bouche-à-oreille au sein d’une même structure familiale. Les jeunes papas de la génération Y transmettent avec plaisir leur nostalgie Stars Wars à leurs enfants. Dans la nouvelle trilogie, les auteurs utilisent la même structure narrative que dans les premiers épisodes.

nostalgie Star Wars

 

Conclusion